Club Africain

Publié le par M.D.J Musique

 

Histoire du Club Africain
poster1.jpg

 

Survol de l’Histoire du Club Africain

Survoler toute l’histoire du Club Africain en quelques mots est un exercice non seulement périlleux mais quelque part arbitraire. Entre l’histoire enfouie et le contexte immédiat, le pontage n’est pas aisé tant l’itinéraire est pavé de défis, de conquêtes, de symboles et de représentations. En outre, entre l’engagement d’objectivité que les lecteurs présument et le résiduel subjectif dont le texte est, par moments, imprégné, il y a un équilibre à établir, qui soit fiable et crédible. Une lecture de l’histoire du Club Africain à la fois passionnée et critique est un défi que nous tentons de relever. Il appartient aux lecteurs d’en juger !

La naissance du Club Africain, comme toute grande œuvre humaine marquant histoire, était l’aboutissement d’un processus d’accouchement douloureux. Fruit de l’investissement et du sacrifice de quelques hommes de conviction et de vision dont l’orgueil n’avait d’égale que l’acharnement, le club est né dans l’adversité, au terme d’une longue épreuve de force. « Depuis sa naissance, le Club africain a toujours évolué dans l’adversité, sans trahir son identité ni sa mémoire ». Venant de la bouche d’une grande figure clubiste, en l’occurrence Monsieur Azzouz Lasram, cette affirmation prend toute sa signification et résume, en deux mots, la trajectoire du club.

I- INTRODUCTION HISTORIQUE

Pour restituer le cadre de création du club, convient-il d’intégrer la dimension histoire et ainsi placer la naissance du club dans son contexte historique. Nombre d’évènements d’ordre politique et sportif, au niveau aussi bien national qu’international, ont concouru directement ou indirectement à l’émergence d’une volonté nationale revendicative, et par ricochet, à la focalisation des tunisiens musulmans sur la nécessité de se doter d’une association sportive représentative. Il est à signaler que, durant cette période, les Français, les Italiens, les Maltais et les juifs disposaient de leur propre club, sauf les tunisiens musulmans.

Les principaux évènements sus-visés, qui avaient agi en interaction et en corrélation, et dont les Tunisiens avaient bien su mettre à profit les retombées, pourraient être résumés comme suit :

- En 1917, le contexte mondial fut ébranlé par trois évènements majeurs, dont les répercussions eurent affecté directement l’environnement socio-politique tunisien et contribué à dégager des perspectives jusqu’ici bouchées :

- La première guerre mondiale 1914-1918 : Cette période de guerre avait entraîné de grandes mutations politiques, économiques, sociales ainsi que sportive dans l’ordre tunisien.

- Les quatorze Points du Président américain Wilson dont le message avait entrouvert la porte aux principes d’auto-détermination et d’indépendance pour les pays soumis au joug colonialiste.

- La Déclaration Belfour de 1917, laquelle Déclaration attisa l’hostilité entre les communautés musulmane, chrétienne et juive.

- Développement d’une conscience politique nationale et d’une plate-forme idéologique de lutte, certes embryonnaire mais de plus en plus manifeste. Ce ne fut pas fortuit que l’année 1920 enregistra la constitution du premier mouvement politique tunisien musulman, à savoir le parti libéral constitutionnel (Hezb horr destouri).

- Un match houleux, joué a priori en 1918, opposant le Stade Africain (composé de tunisiens musulmans, entre autres joueurs) et le Club tunisois (composé essentiellement de juifs) avait tourné à l’émeute et avait donné lieu à des représailles entre musulmans et juifs tunisiens. Ces deux associations furent dissoutes.

En trois ans, le paysage politique, social et culturel de la Tunisie avait été transformé. A certain niveau d’abstraction, la Tunisie d’aujourd’hui est le prolongement naturel de cette période. Dans ce contexte manichéen où la dualité, entre l’emprise coloniale et la poussée nationaliste, avait traversé la paysage tunisien, et plus particulièrement la vieille ville de Tunis, le centre d’impulsion et le cœur de la Tunisie musulmane de l’époque, les élèves de la Zitouna, de la Khaldounia, et de la Sadiki ont joué un rôle prépondérant dans aussi bien la formation et la cimentation de la conscience nationale que dans la valorisation de l’alternative sportive et culturelle comme moyen de lutte.

Durant cette période, Tunis, et essentiellement la Médina, avait une unité en termes de territoire et d’identité, ce n’est que plus tard, à la suite de la création notamment du Club Africain que la vieille ville de Tunis fut divisé sur le plan territoire/identité, Le quartier de Bab- Djedid ayant été le premier, et longtemps avant d’autres, à forger sa propre identité autour d’un club, en l’occurrence le Club Africain.

II- CREATION DU CLUB AFRICAIN

Le Club Africain fut certes officiellement autorisé à exercer le 04 Octobre 1920, mais son itinéraire n’avait pas débuté à cette date. Le Club Africain, comme l’affirmaient certains de ses pères fondateurs, est le prolongement naturel du Stade Africain, association fondée en 1915 et dissoute en 1918, dont il a conservé les couleurs, l’esprit et le nom ainsi qu’un noyau de joueurs, particulièrement Mohamed Soudani . Il était d’ailleurs le président de la réunion constitutive du club, à savoir, la première Assemblée Générale, tenue dans un café, sis à Bab-Djedid et appartenant à une famille désormais clubiste. Il est à signaler que le premier siège social du club fut le "Makhzen Essouf" (Dépôt de laine), situé dans le quartier de "El Morkadh" (Place des chevaux).

Mohamed Soudani et Jameleddine Bousnina furent les deux véritables chevilles ouvrières du processus de création du club. Les pères fondateurs sont les suivants :

- Salah Soudani
- Jameleddine Bousnina
- Béchir Ben Mustapha
- Mahmoud Mallouche
- Chedly Louerghi
- Abdelmajid Chahed
- Hassen Nouisri
- Mohamed Badr
- Mohamed Abdelaziz Agrebi 
- Abderrazek Karabaka
- Manoubi Haouari
- Fradj Abdelwahed
- Mohamed Ayad
- Ahmed Dhahak
- Mohamed Ezzeddine
- Arbi Negli
- Ahmed Zeglaoui
- Ahmed Mestaoui 
- Abdelwahab Bouallegue
- Mohamed Machouche (Le père de Abdejabbar)
- Ahmed Ben Miled
- Béchir Ben Amor, (Le premier gardien de but du club)
- Abderrahmen Kalfat

En effet, dés sa présentation, la demande d’autorisation avait fait l’objet d’un chantage puisque l’agrément avait été soumis à trois conditions :

1- La nomination à la tête du CA d’un président de nationalité française.
2- Le changement des couleurs choisies, à savoir le rouge et le blanc.
3- Le renoncement à l’emblème national « le croissant et l’étoile ».

Il s’agissait de forcer les clubistes à se démarquer de toute référence avec le drapeau national et à s’aliéner tout son socle identitaire. Les termes de ce compromis avaient été catégoriquement refusés. Finalement, l’acharnement avait contraint les autorités de l’époque à céder et à accorder au Club Africain une concession historique sur les deux premiers points, à savoir, la nationalité tunisienne du président et les couleurs Rouge et Blanche.

Les pères fondateurs du Club Africain furent beaucoup plus intransigeants et obtinrent finalement gain de cause et imposèrent un Bureau Directeur entièrement tunisien, présidé par Béchir Ben Mustapha, une première dans l’histoire sportive tunisienne et un précédent sur lequel d’autres équipes ont construit leur création, comme l’ESS ( Ahmed Zeglaoui, un des pères fondateurs du Club Africain fut , entre autres, à l’origine de la création de l’ESS ) et le Club de Tunisie ( actuellement le CSS)

Concernant l’emblème national « le croissant et l’étoile », l’entêtement et l’obstination des clubistes avaient fini par payer mais ultérieurement. En effet, la volonté de disposer de ce symbole n’a jamais été démentie, les clubistes étaient revenus à la charge avec une telle opiniâtreté qu’ils avaient fini par obtenir gain de cause vers le milieu des années quarante. Quelque temps après, et comme un clin d’œil de l’histoire, le CA arracha son premier titre de championnat.

La première Assemblée Générale du CA avait été tenue dans un café à Bab-Jedid , au terme de laquelle un Bureau a été constitué, composé exclusivement de tunisiens et présidé par Monsieur Bechir Ben Mustapha. L’appellation "Club Africain" fut proposée par Abdelmajid Chahed, immédiatement entérinée par tout le groupe.

Le premier Comité Directeur du Club Africain était composé comme suit :

Le Président : Béchir Ben Mustapha
Le Vice Président : Jameleddine Bousnina
Le Secrétaire Général : Chedly Louerghi
Le Secrétaire Adjoint : Abdelmajid Chahed
Le Trésorier : Hassen Nouisri

Dans la foulée, une Commission Sportive avait été mise sur pied. Elle était composée de :

Mahmoud Mallouche (Capitaine d'Equipe)
Ahmed Zaglaoui
Fradj Abdelwahed 
Hamed Dahak
Ezzeddine Bel Haj (Capitaine de la deuxième équipe )
Délégué du Comité Directeur : Jameleddine Bousnina.

 

- Gardien : Manoubi Haouari
- Arrières : Jameleddine Bousnina, Mohamed Machouche, Mahmoud Mallouche ( Capitaine)
- Milieu : Hassene Kaddour, Hassen Nouisri, 
- Ailiers : Ahmed Mestaoui, Mohamed Ayad
- Attaquants : Abderrahmen Kalfat, Arbi Ben Yamina, Ahmed Zeglaoui, Ahmed Dhahak

Ce fut non seulement la première victoire du Club Africain, mais notamment un des premiers sursauts de la Tunisie profonde.

Une légende est née.

Rien que l’appellation « Club Africain » constitue déjà tout un programme, ceci dénote une certaine conscience politique et atteste que dans l’esprit des fondateurs du CA, la démarche associative était un moyen de résistance et de mobilisation contre l’occupation coloniale. Le fait de conférer une dimension africaine à un projet associatif d’ordre national, sous un système colonialiste qui sévissait partout en Afrique, ne pourrait être fortuit ni dénué de fondements.

Dans le même registre, l’adjonction du terme « africain » au nom d’une association tunisienne, qui plus était régie alors par le droit français, était un choix conforme à l’histoire et chargé de significations. En effet, la Tunisie, qui s’appelait naguère Ifriqiya, a donné son nom à tout un continent, en l’occurrence l’Afrique.

Par conséquent, s’appeler « Club Africain » au début du 20eme siècle avait valeur de symbole et s’apparentait beaucoup plus à un cri de ralliement et à un appel de l’histoire. Il y a quelque chose de fédérateur et de solidaire dans ce nom.

Le choix des couleurs du CA, à savoir le Rouge et le Blanc, n’était pas non plus intempestif ou aléatoire. Au contraire, il procédait de la même vision, s’appuyait sur les mêmes convictions. Le club était un vecteur identificatoire et un support à la cause nationale. Le fait d’adopter et d’imposer, malgré le diktat colonial, les couleurs du drapeau tunisien n’est-il pas révélateur d’une conscience nationale et d’un esprit de résistance !?

Depuis sa naissance, le CA s’était identifié à la cause nationale, ses fondateurs lui avaient conféré des dimensions idéologiques et humaines et ses partisans ont enraciné cet esprit de génération en génération.

Dans le même ordre d’idées, peut-on omettre de citer parmi les fondateurs du CA, le Docteur Ahmed Ben Miled, appelé « médecin du peuple », compagnon du grand Mohamed Ali Hammi, fondateur de la première centrale syndicale tunisienne. Jameleddine Bousnina, fut un grand écrivain et le premier journaliste sportif tunisien de langue arabe.

Sur un autre plan, la dimension culturelle et identitaire était également présente dans l’esprit des fondateurs du CA dont une bonne partie était des hommes de lettre et d’art ayant marqué le patrimoine culturel tunisien. A ses débuts, le CA articulait ses activités sur trois axes, à savoir, le sport, la musique et le théâtre. Les premières cartes d’adhérent en constituent une preuve irréfutable.

Dans ce cadre, citons trois exemples :

1-Après l’implantation et la consolidation du CA , nombre de pères spirituels du CA, notamment Ahmed Dhahak, Jameleddine Bousnina et Belhassen Ben Chedly, ont contribué à la mise en place , en 1934-35, de la Rachidia, grand temple du patrimoine musical tunisien.

2- Au cours des années trente le club disposait déjà de sa propre troupe théâtrale. Dans les années cinquante, le CA était derrière la présentation de certaines pièces de théâtre , écrites, entre autres, par Ahmed Khairiddine, grand monsieur du théâtre tunisien et clubiste des premières heures.

3- Mohamed Abdelaziz Agrebi et Abderrazek Karabaka, grandes figures artistiques tunisiennes, ont été parmi les premiers pionniers clubistes. La grande cantatrice tunisienne Chefia Rochdi finançait certaines activités du club.

Il est donc clair que, parallèlement au rectangle vert, le CA a bataillé dans d’autres terrains, et non des moindres, et a conquis des trophées autres que sportifs, et a puisé dans le creuset national et dans le patrimoine populaire pour naître, mûrir et grandir.

Les clubistes sont donc les héritiers naturels de tout un ensemble de valeurs, et consciemment ou inconsciemment, ils restituent ceci dans leurs relations avec leur club avec lequel ils s’identifient.

Les institutions ne valent que par la grandeur de leur histoire, par la signification de leur démarche, par les représentations qu’elles incarnent et par le pouvoir d’identification et de mobilisation qu’elles détiennent, et ce au delà de toutes considérations sociales, culturelles ou régionales !


De Bechir Ben Mustapha à Jamel Latrous, en passant par Mustapha Sfar, Moncef Okbi, Dr Salah Aouij, Azzouz Lasram, Fethi Zouhir, Ridha Azzabi, Ferid Mokhtar, Ferid Abbes, Cherif Bellamine, Kamel Iddir et Hamadi Bousbii, à la fois pères spirituels et enfants prodigues, que de défis relevés, d’épreuves subies et de conquêtes arrachées aux sueurs et aux larmes. Le peuple clubiste a puisé, et puise toujours, dans sa culture et ses valeurs, cette force et cet orgueil de rebondir et de se surpasser. Parallèlement à ce poids de l’histoire, Le CA a toujours été une grande famille, certes un peu introvertie parce que soucieuse de son patrimoine affectif et référentiel, mais protégée par les gardiens du temple, lesquels, par une espèce de code de conduite implicite et non écrit, ont forgé et perpétué les vraies valeurs clubistes.

III- ITINERAIRE DU CLUB AFRICAIN

En résumé, et sans trop schématiser, on pourrait identifier trois principales phases dans l’itinéraire du CA, chacune étant régie par une logique propre, animée par des motivations contextuelles et confrontée à des contraintes spécifiques. Ce triptyque est forcément arbitraire, d’autres pourraient être envisagés :

A- Période 1920-1960 :

En dépit d’une genèse difficile et d’une évolution heurtée, Le CA a pu maintenir le cap sans déroger aux principes de départ ni se dérober à son rôle national. L’aspect sportif fût le levier pour mobiliser et encadrer la jeunesse tunisienne dans une perspective anti-colonialiste, certes non frontale mais néanmoins militante. Donc, ni la démarche ni l’objectif n’obéissaient à des mobiles exclusivement sportifs. Le profil des fondateurs du CA, la dimension politique et identitaire de leur projet en témoignent.

Il est à signaler que le football était durant cette période la principale activité sportive du CA, il y avait certes le base-ball, mais cette section n’avait pas fait long feu. Les autres disciplines, comme le handball, volley-ball, basket-ball, ont été instaurées après l’indépendance.

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article